BOHAIN-EN-VERMANDOIS
(Hauts-de-France)
C’est la beauté de ses étoffes qui fit la gloire de cette ancienne cité textile. Parmi ses clients les plus célèbres, on trouve Napoléon Ier, qui commanda à un tisseur local un châle en soie pour Joséphine, ou Coco Chanel, qui s’y fournissait en tissus d’exception pour certaines de ses créations. Les motifs floraux ou géométriques de ces imprimés aux couleurs vives ont aussi exercé une influence décisive sur l’un des fondateurs du fauvisme, le peintre Henri Matisse, qui a passé toute sa jeunesse à Bohain.
Né en 1869 à une quinzaine de kilomètres de là, dans la maison de ses grands-parents maternels au Cateau-Cambrésis, Henri est le fils d’un couple de commerçants aisés qui tiennent une graineterie à Bohain. Dans un recoin du magasin familial, « Aux graines d’élite », Mme Matisse vend aussi des couleurs aux peintres amateurs de la région, ce qui ne suffit pas à déclencher une vocation picturale précoce chez son fils, même si, au collège, Henri démontre des facilités en cours de dessin. Il est surtout fasciné par les couleurs et les motifs des tissus fabriqués dans les ateliers voisins, et entame une collection d’échantillons, où ceux de la prestigieuse maison Rodier occupent une place de choix. Mais ses parents l’imaginent juriste. Après avoir achevé ses études secondaires, le jeune homme devient, sans enthousiasme, clerc d’avoué à Saint-Quentin. C’est une opération de l’intestin, subie à 21 ans à la suite de crises de colite chroniques, qui va forcer son destin. Au cours de sa longue convalescence, pour tromper son ennui, Henri demande à sa mère de lui apporter un pinceau et des couleurs. « À partir du moment où j’ai eu cette boîte de couleurs dans les mains, j’ai senti là que c’était ma vie », déclarera-t-il. Son premier tableau est une Nature morte aux livres. Lorsque, rétabli, il retrouve son emploi de clerc, le jeune Bohainois remplit les marges des documents notariés de dessins de fleurs et passe ses soirées et ses nuits à peindre, décorant notamment les plafonds de la maison de son oncle au Cateau-Cambrésis. En 1891, un an après la révélation de sa vocation, les parents d’Henri acceptent de le laisser aller étudier la peinture à Paris.
Les débuts de Matisse seront difficiles. Pour vivre, il est longtemps décorateur de théâtre, car ses toiles, pleines de fleurs et de couleurs vives, ne se vendent pas. Traité de « barbouilleur » et de « gribouilleur » par certains critiques parisiens, le peintre désargenté, qui s’est marié et a trois enfants à nourrir, se réfugie avec sa famille en 1902 chez ses parents à Bohain. L’année suivante, il s’installe pendant quelques mois dans le village voisin de Lesquielles-Saint-Germain, où, le long de l’Oise, il s’abreuve à un puits de lumière et de verdure, peignant sur les bords de la rivière et même sur une barque. C’est en 1905 que Matisse obtient enfin la reconnaissance du milieu artistique, lorsque, aux côtés de ses amis André Derain et Maurice de Vlaminck, il invente le fauvisme, déclaration de guerre au réalisme avec ses aplats de couleurs ardentes.
Le peintre s’installera ensuite en région parisienne, puis dans le Midi, pour profiter de sa fascinante lumière, mais il ne reniera jamais sa sève picarde et restera un grand amateur de ses traditions culinaires, comme le maroilles ou la soupe à l’oignon à la bohainoise. En 1952, deux ans avant sa mort, il fait don à sa ville natale du Cateau-Cambrésis de 82 toiles, allant de Bord de canal près de Bohain à Fenêtre à Tahiti, qui sont aujourd’hui exposées dans une ancienne résidence épiscopale. À Bohain, la graineterie familiale est elle aussi devenue un musée, où ont été reconstitués le décor de la boutique et celui du domicile des Matisse, au-dessus du magasin. La pièce maîtresse est le lit que l’artiste ne quittait plus à la fin de sa vie, travaillant confortablement adossé sur son oreiller.
–
Musée départemental Matisse, Palais Fénelon, place du Commandant-Richez, 59360 Le Cateau-Cambrésis
Maison familiale d’Henri Matisse, 26, rue du Château, 02110 Bohain-en-Vermandois